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L'Arbre-Source de Terr'Eveille
L’ arbre, contre lequel venir s’appuyer,
trouver les axes et directions, racines et horizons,
la source, nous rappelle les sens premiers et nous rafraîchit les idées !
Ce document a pour intention de clarifier notre positionnement sur la manière dont nous souhaitons proposer et promouvoir le Travail qui relie en tant que collectif. S’il se réfère à la source et aux origines du Travail qui relie, il ne prétend en aucune manière constituer un référent unique ou excluant.
Cheminements ...
Ce texte a été commencé en décembre 2020, alors que l’équipe de Terr’Eveille était secouée de courants et opinions contraires durant la période du Covid. Nous y avons inscrit les positionnements que nous souhaitions porter en tant que collectif, notamment d'assumer un engagement d’ordre social et politique, pas toujours très explicite ou explicité dans le Travail qui relie, alors même qu’il en est une des sources.
L’Arbre-Source a d’abord été destiné à servir de référence interne pour l’équipe.
Il a été enrichi de toutes les réflexions qui nous ont traversées, notamment autour de l’étape « aller de l’avant » et du Changement de Cap. Nous avons été nourris par les apports de la collapsologie, de la proposition d’adaptation radicale (Jem Bendell), par l’évolution de la vision de Joanna Macy elle-même (nouvelle édition de Active Hope- été 2022) et de nombreux échanges autour des dominations systémiques, amenées notamment par le Réseau Mycelium.
La formation que nous avons organisée et animée pour un groupe de 15 facilitatrices* « émergentes » entre septembre 2021 et septembre 2022, nous a permis de systématiser une série de réflexions, pratiques et postures, notamment autour des aspects spirituels, de la gestion des émotions, etc.
Plus récemment, au vu de l’évolution du paysage du Travail qui relie en francophonie, nous trouvons nécessaire de rendre ce document public. Autant pour servir de repère à des facilitatrices* qui n’ont pas toujours de collectifs dans lesquels laisser mûrir leurs questionnements, que pour souligner les dangers de certaines manières d’appréhender et proposer le Travail qui relie, qui s’éloignent des intentions premières et pourraient être récupérées par le système même qu’il dénonce.
Enfin, nous souhaitons qu’il puisse nous guider dans l’évolution de nos propositions, alors que Terr’Eveille traverse une profonde métamorphose, pour ne pas perdre ce qui a été construit au cours de ses 13 ans de vie, tout en restant dans le flux du vivant.
* Nous choisissons d’utiliser la règle grammaticale du « féminin qui l’emporte », comme nous le faisons de plus en plus régulièrement lors de nos ateliers. Non pour remplacer une domination par une autre, mais pour visibiliser les groupes minorisés …. ceci d’autant plus qu’une bonne partie des facilitatrices de TQR sont des femmes.
Le « Travail qui relie » que nous portons et défendons en tant que collectif Terr’Eveille:
1. Une pratique du Travail qui relie en lien avec les intentions d’origine
2. Une posture de facilitatrices engagées
3. L’engagement dans le « Changement de Cap »
4. L’écoute sensible du vivant
5. Le « prendre soin »
En déclinant ces valeurs, voici les principes qui peuvent guider nos choix et nos actions :
1. Une pratique du Travail qui relie en lien avec les intentions d’origine :
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Nous défendons le Travail qui relie, comme une méthodologie destinée à soutenir un changement de cap radical, que ce soit pour renforcer des militants ou personnes déjà engagées, ou pour donner des clés d'analyse et d’action à des personnes sensibilisées en recherche de voies d’engagement.
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Nous offrons des processus où les pratiques du Travail qui relie restent centrales. Tout en reconnaissant la pertinence d’une série de pratiques connexes de développement personnel, spirituel, corporel ou créatif, celles-ci doivent rester pour nous au service de la spirale et d’un engagement dans le Changement de cap.
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Nous offrons des processus de TQR où chacune des quatre étapes peut se déployer pleinement, dans toute sa richesse et sa profondeur.
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En particulier : nous portons la conviction, intrinsèque au Travail qui relie, que reconnaître/ exprimer/partager collectivement les émotions douloureuses (colère, tristesse, peur, impuissance etc.) est essentiel pour construire de la résilience autant individuelle et collective, et traverser ensemble les tempêtes. (voir aussi le point 5. « Prendre soin »)
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Le choix des personnes auxquels nous nous adressons est à lui seul significatif. Nous continuons à proposer du Travail qui relie à des personnes en questionnement sur le monde et leur place. Tout en reconnaissant les caractéristiques générales de classe moyenne-éduquée-blanche de nos participantes, nous cherchons à élargir cette base, en allant vers des secteurs plus fragilisés, marginalisés et/ou plus radicaux.
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Nous mettons en garde contre une marchandisation du Travail qui relie ; notamment le choix de certaines à s’adresser aux entreprises. Cette tendance comporte selon nous les risques suivants :
- une édulcoration du message, notamment sur le changement social, qui pourrait faire croire qu’une transition écologique douce où chacun fait un peu du sien est possible … sans vision systémique des multiples dominations qui conduisent à une société qui détruit la vie, et qui sont particulièrement présentes dans le modèle hiérarchique des organisations, privées ou publiques.
- un détournement des intentions du TQR, mis au profit d’un renouvellement de la culture d’entreprise capitaliste. Ceci pourrait à terme transformer profondément l’esprit et l’image du Travail qui relie, et le dévaloriser auprès du public initial.
- une récupération par les logiques de marché, avec des propositions d’ateliers à des prix disproportionnés.
2. Une posture de facilitatrices engagées
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Nous optons pour une posture d’humilité dans la facilitation : participante dans les processus, non-sachante (ni enseignante - ni thérapeute - ni gourou), engagée par ailleurs dans d’autres activités contribuant au Changement de Cap.
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Nous choisissons de ne pas en faire une profession, mais au contraire d’amener notre « profession » dans le TQR comme Joanna Macy le recommande. Nous considérons aussi que se donner la liberté de choisir à qui nous nous adressons implique de renoncer à faire du TQR une source principale de revenus.
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De la même manière, ne pas animer seule permet d’offrir une diversité de compétences, de pratiques et de couleurs, et offre également un espace de médiation et de sécurité plus grand pour les participantes.
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Nous soulignons notre responsabilité de co-facilitatrices à cheminer en identifiant là où nos égos, nos blessures ou nos sous-personnalités nous bloquent, nous restreignent, et nous éloignent du flux de la vie et pourraient impacter les processus et les groupes.
3. L’engagement dans le Changement de Cap : nous souhaitons développer et intégrer les aspects suivants :
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Porter un regard systémique sur les 3 dimensions du Changement de Cap
1. Poser des actions de résistance pour la défense de la Vie
2. Expérimenter des alternatives au système dominant
3. Transformer nos perceptions, nos valeurs et notre culture
Ces 3 dimensions ne sont pas simplement complémentaires, elles s’articulent entre elles. Notamment, l’engagement et la compréhension socio-politique se conjuguent avec les compréhensions, croyances et propositions psycho-spirituelles.
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Asseoir une compréhension socio-politique du monde. Par là, nous entendons :
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Pouvoir adopter un regard critique sur le monde dans lequel on vit, regard qui s’appuie sur les valeurs de justice et d’émancipation : critique des oppressions et des inégalités systémiques, des rapports de pouvoir à l’œuvre dans la société, de la violence invisible des systèmes hiérarchiques.
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Porter une attention particulière aux dynamiques entre les acteurs sociaux : quels sont les groupes sociaux marginalisés, exclus, plus généralement ceux en position de subordination ?
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S’ouvrir à des réalités qui ne sont pas les nôtres : quelle est la réalité des luttes concrètes, individuelles ou collectives (expl : dans le monde du travail, face à l’extractivisme, aux violences conjugales, etc.)
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Prendre conscience des privilèges de certains groupes sociaux, de nos propres privilèges au sein du système capitaliste patriarcal, et comment ceux-ci influencent notre regard et nos discours. Nous sommes toustes impactées par le système. Pour autant, nous ne sommes pas victimes de la même façon.
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Ne pas hésiter à nommer le système qui oppresse : matérialisme, capitalisme, colonialisme, racisme, patriarcat, sexisme, infantisme, anthropocentrisme, spécisme…
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En particulier, nous rejoignons les constats et combats écoféministes qui nomment la convergence des enjeux entre les injustices de genre et destructions écologiques.
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Pouvoir reconnaître la culture que nous créons (à travers les formes, les mots que nous employons), qui peut être incluante pour certaines et excluante pour d’autres
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Rmq : tous ces points englobent autant les relations entre humains que les rapports sociaux et politiques avec les autres êtres vivants.
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Proposer et transmettre des compréhensions et des pratiques psycho-spirituelles :
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Pouvoir s’ouvrir à la réalité d’un « plus grand que soi », d’un invisible qui nous dépasse. (Nous) offrir des pratiques diverses qui permettent d’appréhender ce plus grand, nous y connecter, y trouver ressources, soutien et inspiration.
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Nos sources d’inspiration et de référence sont plurielles : bouddhisme, cosmovision des peuples premiers, chamanisme, tradition celtique, spiritualités chétiennes, etc. Pouvoir nommer cette diversité, mais également la congruence dans les valeurs sous-jacentes.
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Développer et cultiver le sens du « sacré », tant dans le quotidien, que dans l’attention et la forme que nous donnons à nos pratiques, en particulier dans les rituels, avec la conscience de la portée de nos mots et nos actes au-delà du visible.
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Partager ces convictions avec doigté, en les présentant comme personnelles, sans figer dans des dogmes, ni exclure ceux qui « n’y croiraient pas », en partant d’abord de notre expérience propre.
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Accueillir une compréhension de la spiritualité qui recouvre tout autant un chemin vers l’Esprit « La Source, le Divin, plus grand que nous, universel », que vers notre Âme « unique, individuelle, le don que chacun de nous apporte au monde ». (cf Plotkin + Boddhishatva)
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La souffrance fait partie intégrante de la vie humaine. Accepter et regarder en face notre souffrance nous permet de débloquer notre énergie pour agir là où nous pouvons. Accepter notre peine nous permet d’exprimer notre amour.
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Articuler les dimensions socio-politiques avec les dimensions psycho-spirituelles :
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Tout en reconnaissant l’importance de la somme des changements individuels, pouvoir être lucide sur la nécessité de transformations profondes aux niveaux collectifs et structurels, alors même qu’elle nous renvoie régulièrement à notre impuissance.
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Traiter avec prudence certaines croyances d’ordre spirituel, qui déforcent un positionnement politique : p.ex. la croyance que « tout ce qui nous arrive est juste » peut se comprendre dans un certain cadre comme la possibilité de donner du sens à nos expériences y compris douloureuses, mais peut s’avérer très violente pour des personnes subissant de front les violences du système (précarité, abus physiques ou sexuels, guerre, etc.) en invisibilisant justement les causes sociales et systémiques.
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Incarner l’espoir actif :
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Reconnaître la réalité des effondrements en cours et à venir, pouvoir en parler sans en éluder ni la gravité ni le caractère inéluctable le cas échéant ; pouvoir en parler au pluriel, nuancer les faits des récits et les articuler avec la notion d’espoir actif.
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Assumer que ces effondrements appellent à une adaptation radicale aux nouvelles réalités et situations que nous rencontrons. La carte des 4R (Renforcer – Restaurer – Renoncer – Réconcilier) proposée par Jem Bendell peut nous aider à ajuster nos actions et attitudes. Cette carte complète utilement les 3 dimensions du Changement de cap.
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Poursuivre nos actions dans le monde pour nourrir une société et une culture qui soutiennent la Vie, sans faire dépendre notre bonheur de l’obtention hypothétique d’un résultat, mais bien trouver notre joie dans des actions qui ont du sens pour nous, individuellement et collectivement.
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4. L’écoute sensible du vivant :
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Reconnaître que notre culture a objectifié et exploité le vivant (la “nature”) et nous en a déconnecté profondément
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Reconnaître l’interdépendance à l’œuvre dans la toile de la vie, et écouter comment elle intervient dans nos processus d’ateliers ou en interne dans nos collectifs ; développer une lecture des mouvements, des diversités, des rythmes, des complémentarités, etc.
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Considérer les autres qu’humains en tant que sujets et chercher à rentrer davantage en relations de coopération avec elleux ; s’engager dans l’écoute, la collaboration, la compréhension de leurs réalités et la valorisation de leurs messages.
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Pouvoir articuler la confiance dans les messages des autres qu’humains avec la conscience des filtres psychologiques et culturels à travers lesquels nous les interprétons quand nous leur prêtons nos pensées et nos voix.
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Développer la pleine présence : quand nous sommes pleinement présentes, nous pouvons expérimenter cette interdépendance entre toute chose. Être pleinement présente nous permet d’expérimenter tant la beauté que la souffrance de l’existence humaine, dans la gratitude et l’humilité.
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Ces dimensions d’écoute sensible s’appuient en particulier sur des pratiques et travaux développés par Bill Plotkin, David Abram, et le courant des 8-shields.
5. Le « prendre soin »:
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Nous attachons une importance particulière au soin porté aux personnes, aux relations, à la membrane du groupe et de l'équipe.
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La psyché humaine est entrelacée avec la société et la Terre. La vision systémique met en lumière leur interdépendance. Le soin a donc lieu à différents niveaux : individuel, interpersonnel, sociétal, écologique. Prendre soin de soi implique de prendre soin de la société, tout comme prendre soin de la société implique de prendre soin de soi. De même, la guérison d’un être blessé participe à la guérison de la Terre.
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En conscience de cette interdépendance, nous reconnaissons que la volonté de “prendre soin” peut créer des paradoxes (p. ex. quand les soignantes s’épuisent ...). Nous tentons de regarder ces paradoxes et de chercher les voies de la cohérence entre le but et le chemin.
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Nous avons conscience des risques de décompensation psychologique possibles suite notamment à la confrontation avec des émotions (trop) douloureuses . Nous tentons de réduire ces risques au maximum en offrant un cadre qui nomme l’importance d’ouvrir cet espace, qui met du soin dans la solidité de la membrane du groupe en tant que contenant, et qui est transparent sur le fait que nous ne sommes pas là en tant que thérapeutes, ce qui peut aider les participantes à « doser » l’intensité des blessures personnelles mises à nu.
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Par ailleurs, nous inscrivons l’étape « honorer notre peine pour le monde » dans un processus qui permet l’intégration des vagues émotionnelles, autant verbale que corporelle. Nous donnons également des pistes aux participantes pour pouvoir intégrer le processus en douceur de retour chez elles ; en les invitant à demander de l’aide si elles en ont besoin.
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Nous sommes particulièrement attachées à la notion de « Réseau des tempêtes » (Rough weather network). La participation aux différentes propositions du TQR crée un sentiment d’appartenance à une communauté plus vaste. Cette communauté peut être activée en cas de « tempête », comme cela a été le cas pendant la période du Covid. Un de nos souhaits serait qu’elle puisse être plus facilement visibilisée et mobilisée en cas de besoin, localement ou à un niveau plus large.
Février 2024